D’anciens élèves témoignent
D’anciens élèves témoignent…
Quelques dates
J’étudie en deuxième année du Collège Moderne. Ce dernier organise pour toutes les classes une visite de l’Ecole des Arts et Métiers et du Technicum sous la houlette des professeurs de ces deux établissements. Notre guide est un homme dans la force de l’âge, grand, sympathique, un physique d’acteur de cinéma américain. Un camarade me chuchote : « Il doit s’agir d’Henri Copponex, celui qui gagne presque toutes les régates sur le Léman ». D’emblée il a le contact facile, il a du charisme, ses explications sont claires, précises, concises et il répond spontanément à nos questions lors de la visite des laboratoires de physique, de chimie et d’essais des matériaux dans cette école où j’ai déjà choisi de poursuivre mes études en architecture. Avec un tel professeur, les études, en tout cas dans les branches qu’il enseigne, doivent être un plaisir, ce qui me fut confirmé dans les années qui suivirent.
Septembre 1948
Deuxième année d’études au Technicum de Genève, premières leçons avec Henri Copponex qui nous enseigne la construction, la statique et la géométrie descriptive. Cette dernière branche nous avait été donnée, en première année, par un vieux professeur proche de la retraite, peu doué pour la communication, ce qui avait représenté pour moi une corvée. Avec ce nouveau professeur, tout changeait. Ce qui avait paru compliqué devenait clair et limpide, ses croquis au tableau noir étaient explicites et nous prouvaient que nous avions affaire à un vrai pro de la technique et du dessin. Dans la classe, pas de perturbations, il savait capter notre attention. Ses explications souvent teintées d’humour étaient à notre portée et agrémentées d’expériences vécues. Dans le cours de construction, il n’abordait pas seulement le domaine traité par un ingénieur civil (maçonnerie, béton armé, charpente, construction métallique) mais tous les autres corps de métier qu’il connaissait comme un architecte ou un ingénieur en mécanique. Il répondait à nos questions de manière concise, n’hésitant pas à les transposer parfois dans le domaine de l’architecture navale qui constituait, nous l’avions vite compris, son second et même son premier métier avec l’enseignement pour lequel il faisait preuve de qualités exceptionnelles. Il venait, cette année, de participer aux Jeux Olympiques en Angleterre et nous n’hésitions pas à le faire sortir du cours afin qu’il nous narre les différentes régates qui eurent lieu à Torquay.
1950
Un jour, je circule à vélo à la rue des Lilas, à quelques centaines de mètres du Technicum. Sur un trottoir, une petite fille joue à la balle avec son père. Le père : Henri Copponex. Dix ans plus tard, jeune marié, j’emménage avec ma femme au 83, rue de la Servette. Notre appartement donne sur la rue des Lilas. Depuis notre balcon, j’aperçois l’immeuble où habitait la famille Copponex.
1970
J’apprends avec tristesse le décès d’Henri Copponex et tous les souvenirs qui lui sont rattachés me reviennent en mémoire.
2007
En consultant un ouvrage sur les régates du Léman, je tombe sur un article consacré à Henri Copponex. Cet article, agrémenté de nombreuses photos, est signé Françoise Copponex. Après bien des hésitations, je prends mon courage à deux mains et lui téléphone pour lui signaler que je suis un ancien élève de son père. Elle me fait part de ses projets et nous fixons un rendez-vous pour le mercredi 4 avril. Et ce jour-là, je constate que le charisme est probablement héréditaire ! Depuis cette date, de manière régulière et fréquente, la merveilleuse aventure de l’Association des Archives Henri Copponex ravive tous les souvenirs relatifs aux deux années pendant lesquelles j’ai bénéficié de l’enseignement de ce remarquable professeur.
Quelques souvenirs
Un jour, lors d’une épreuve de statique, j’ai oublié ma règle à calcul indispensable pour résoudre les problèmes posés. Henri Copponex me prête sa propre règle à calcul que je reverrais, 50 ans plus tard, dans une vitrine de l’exposition consacrée à l’illustre navigateur au Musée du Léman.
A la fin d’une leçon, nous sommes autour de lui pour entendre ses conseils concernant le comportement à avoir avec nos futurs employeurs. Il nous recommande de ne pas hésiter à nous mettre en valeur et revendiquer un salaire correct auquel nous avons droit. « Qui ne demande rien n’a rien », dit-il. J’interviens aussitôt : « Eh bien, je vais demander un 6 à la prochaine épreuve de statique ! » HC me répond : « Vous l’aurez… si vous le méritez ». Quelques jours plus tard, il me rend mon épreuve avec, inscrit au crayon rouge en haut à droite, un 6 ! Je pense l’avoir mérité car avec lui jamais une note n’était attribuée par favoritisme ou compromission. Chacun recevait la note qu’il méritait et personne ne songeait à la contester.
Chez lui, une qualité est à mettre en évidence : la rigueur. Tout devait être fait dans les règles, de manière précise et rigoureuse. Souvent il insistait sur les règles de grammaire et l’emploi du mot juste. Il ne supportait pas le terme « maximal » (une résistance maximale), un germanisme, disait-il. Seul le mot « maximum » est admis. J’ai constaté depuis que cette rigueur dans la pratique du français est aussi héréditaire !
Encore un souvenir : A la fin des années 1940, Henri Copponex barrait un voilier baptisé « Stardust ». C’est le surnom que nous lui avons donné à cette époque.
Enfin un détail amusant : son fils Jean-Pierre et moi sommes nés la même année (1932).
L’architecte naval et le barreur
Le Portugal a connu au XVe siècle un grand personnage en la personne d’Henri le Navigateur (1394-1460). Genève a également abrité un homme qui mériterait le même surnom : Henri Copponex. On peut dire que sa passion fut le lac et les voiliers. En barrant les bateaux qu’il avait dessinés et mettant à profit ses connaissances techniques, son souci du détail et sa maîtrise des mathématiques, il a conçu en l’espace de 35 ans 420 bateaux dont certains naviguent encore actuellement, faisant l’admiration des connaisseurs. L’analyse des plans qu’il avait signés permet d’apprécier sa maîtrise du dessin, la précision du tracé des moindres détails, la minutie des indications concernant l’accastillage et le dimensionnement de toutes les pièces jusqu’au diamètre des vis et des boulons. Un seul regret : qu’il n’ait pas donné des cours d’architecture navale. Ceux-ci auraient certainement rencontré un grand succès et laissé des souvenirs lumineux à leurs bénéficiaires. Enfin, il faut signaler une des grandes qualités d’Henri Copponex malgré ses succès remportés dans d’innombrables régates et sa médaille olympique aux Jeux de Rome en 1960 : sa discrétion et sa modestie contrastant avec l’esprit médiatique et le vedettariat affichés par certains autres barreurs.
Georges Turrian
Comme ancien élève du Tech j’ai bien connu Henri Copponex qui nous enseignait la statique…. je crois, en 2e année du Tech, et je devais avoir 17 ans. J’étais dans le groupe des plus jeunes de la classe… car n’ayant pas fait d’apprentissage, j’avais opté pour la filière du collège classique à Lausanne, puis obtenu mon diplôme du Tech en 1961.
Je garde un excellent souvenir de Monsieur Copponex… malheureusement mes souvenirs s’effacent un peu… car ils ont juste 58 ans! Mais ce qui me restera de lui est son formidable entregent, son dynamisme, sa passion et son extrême gentillesse.
Il nous racontait pendant les pauses des cours sa passion pour la construction des voiliers et de la navigation, il avait participé aux jeux Olympiques d’été à Rome… en 1960, je crois, et remporté une médaille… de bronze. Il me semble que j’avais même fait du ski avec lui lors d’une journée de concours de l’école en Haute Savoie avec d’autres professeurs.
Jean-François Borgstedt - Volée 1961 AG
M. Copponex « imageait » ses cours pour nous faire comprendre les déformations.
La poutre en nougat permettait d’imaginer les déformations et de « sentir » où étaient les zones tendues ou comprimées, et donc quelle était l’allure du diagramme des moments de flexion.
De même pour le calcul des contraintes admissibles sur les piliers, il mentionnait le « nougat » et devant la classe, debout, il simulait avec sa grande stature élancée, dans son costume prince de Galle gris, les différentes déformations possibles.
Il était aussi très précis en nous dictant les exercices : « Prenez une feuille, à deux centimètres depuis le haut et deux centimètres depuis la gauche, dessinez une poutre de 3 cm de long avec des appuis…
De mémoire, nous n’avons jamais eu de conflit avec ce professeur. Il connaissait parfaitement sa matière et était très pédagogue.
J’ai un très bon souvenir de M. Copponex, professeur de statique, et de ses exemples très parlants comme celui de la « poutre en nougat ».
Et lorsque nous étions fatigués, il suffisait de lui poser une question sur la voile et il en parlait jusqu’à la fin du cours.
André Gobeli
Né en 1939, j’ai effectivement fait le Tech de 1955 à 1959 en section d’architecture. J’ai eu la grande chance d’avoir pu bénéficier de l’enseignement de […] Henri Copponex, qui nous enseignait la statique. C’était un homme vrai et passionné dans tout ce qu’il entreprenait. J’ai visité la magnifique exposition du musée du Léman, qui, à juste titre, l’honorait du qualificatif de Prince du Lac, qu’il n’aurait par modestie pas voulu, mais qui lui va si bien. De mon temps d’études, je me souviens bien de le voir traverser la cour, dans ses pensées, en complet gris, un peu penché en avant, la serviette sous le bras. J’ai deux souvenirs qui démontrent sa passion pour la voile et son humour pour aider à faire comprendre.
-
Un jour d’épreuve, un lundi sauf erreur, avant même qu’il expose le problème, un élève lui demande poliment comment il se fait que lors de la régate qu’il avait observée le samedi, il y avait des bateaux qui avançaient contre la bise? Et voilà, c’était parti, l’explication, au tableau noir, avec moult forces exprimées par des flèches, réaction sur la quille, orientation précise du vent, de toutes composantes dont je n’ai plus une idée précise, preuve est faite que l’on navigue très aisément au près, mais l’heure consacrée à l’épreuve y avait passé, et notre professeur pas dupe, en posant sa craie avait dit : vous m’avez bien eu, on fera l’épreuve la semaine prochaine !
- Il se devait d’être toujours convaincant par des explications simples et claires, avec, si possible, une démonstration à l’appui. Il nous expliquait le coefficient de frottement Mu (écrit en grec par la lettre Mu que je n’ai pas sur mon écran). Il prenait l’exemple d’une échelle que vous posez sur une patinoire et que vous appuyez contre un mur. Eh bien ! Si le coeff de frot est égal à zéro, ne montez pas sur l’échelle, car vous allez vous casser la figure.
Voilà deux petits faits divers qui font que nous tous, des deux volées de génie civil et d’architecture, nous nous sommes toujours sentis en confiance avec M. Copponex, et avons apprécié une partie de ses nombreuses qualités.
Le fait de l’avoir eu comme professeur m’a permis de rester serein dans l’exercice de ma profession d’architecte et d’entrepreneur, et comme il m’est arrivé de naviguer comme équipier de mon oncle il y a plus de cinquante ans, lors d’un Bol d’Or sans vent (28 heures de navigation), je me suis souvent remémoré sa magistrale démonstration du pourquoi et du comment les bateaux pouvaient naviguer contre le vent, alors que l’on aurait été tenté de faire avancer notre voilier en ramant avec des assiettes!
En espérant que ces quelques lignes vous confirmeront, si besoin était, que H. Copponex a marqué positivement le caractère d’une multitude d’élèves et que nous sommes fiers de l’avoir connu et apprécié, je vous présente…
Jean-Pierre Freymond
Avant les Jeux Olympiques d’été d’Helsinki en 1952, H. Copponex, comme à son habitude, nous rendait nos épreuves en les commentant avec force remarques quant à notre façon de ne pas savoir résoudre les problèmes qu’il nous posait. Du genre : < Fovanna ! aurait pu mieux faire mais trop accaparé par tout ce qui est artistique ou Vonlanden (brillant et jeune international de foot ) … vous êtes ici sans savoir pourquoi vous y êtes, il vous faudra choisir entre le coup de pied dans un ballon ou la profession d’ingénieur, etc.
Un jour qu’il est de très bonne humeur, il nous explique longuement comment il avait préparé les Jeux, en consultant toutes les statistiques publiées depuis 50 ans, des marées de la Baltique, de la force des vents, tempêtes et tutti quanti !!
Or, lors de la première régate que les régatiers Copponex et consorts disputèrent… ils démâtèrent !!!
A cause de la tempête d’une telle violence qu’on n’en avait jamais vu de pareilles depuis
PLUS DE 50 ANS !!!!!!!
Autant dire qu’aux rendus des épreuves, l’illustre Fovanna, à l’issue des commentaires de son non moins illustre prof, déclarait, à charge de douce revanche : « C’est comme à Helsinki !!!! » Et il me gratifiait d’un sourire fair-play, genre JO.
Ugo Fovanna
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