Henri Copponex et les séries lémaniques
Architecte naval et champion olympique, Henri Copponex a marqué l’histoire de la voile lémanique. Héritier d’une longue tradition, il reste une référence en matière de bon et beau bateau. Portrait d’un homme discret qui marqua les séries de son temps.
Le soir, penché sur sa table à dessin, Henri Copponex actionne sa machine à calculer à levier mécanique dont les engrenages grignotent le silence. Les mauvais jours, les masses glacées tombées des hauteurs, lancées à l’assaut des contre-vents, lui font à peine lever la tête. Au bas de l’immeuble, quai Gustave-Ador, le ressac bat la rive, la rue presque, où parfois passe une automobile attardée. C’est dans ces heures nocturnes que naissent les bateaux d’Henri Copponex, calculs et esquisses consignés dans de grands registres impeccablement tenus, colonnes de chiffres alignées, annotés: «Reprendre ici», «Cet angle est bon!» Professeur le jour, architecte la nuit, régatier depuis l’enfance, Henri Copponex appartient à la dernière génération des créateurs solitaires. Il s’est imposé dans son propre pays où il est de tradition que le dessin des bateaux vienne soit de l’étranger, soit d’amateurs éclairés menant d’autres activités. Enseignant la résistance des matériaux au Technicum et à l’Ecole d’architecture de l’Université de Genève, le personnage, haute stature, large sourire aux incisives écartées, a l’élégance, le charme distant d’un James Stewart ou d’un Gregory Peck.
C’est tout jeune qu’Henri Copponex, né à Genève en 1907, commence à s’intéresser à la voile. Une photo le montre petit garçon tenant un voilier modèle, jouet commun pour un enfant des bords de lac, témoignage ténu mais bien réel de la naissance d’une vocation. Passant son enfance aux Eaux-Vives, rive sud de la ville, l’adolescent, fils d’un entrepreneur en bâtiment, participe aux régates organisées par le Cercle des Modèles, où les bateaux qu’il dessine et construit remportent quelques prix.
Vers l’âge de douze-treize ans, il fait ses premières armes à bord d’un dériveur de 10m2, Alcyon. Cette série, qui répond à une jauge à la voilure, où les formes de coques sont libres, date de la fin du XIXe siècle. Grand-voile houari, petit foc, seul ou en double, le jeune Henri évolue allègrement en rade parmi une flottille d’unités très diverses: deux et trois tonneaux de jauge Godinet des années 1890, récents 20m2 «Encouragement» promus par la Société Genevoise d’Encouragement à la Navigation de Plaisance (SEN), 12 mètres Série Nationale Suisse (SNS), 6,50 mètres Série Internationale, 8 mètres Jauge Internationale, canots innombrables.
Pour un jeune homme qui aime les bateaux et sait les regarder, la plaisance lémanique offre en ce début des années vingt un tableau exceptionnel, né d’un partage équilibré entre influences étrangères et créations locales. À l’écart des crises de rage périodiques de ses voisins en guerre, le Léman est un carrefour d’influences.
Un observateur assidu et discret
Le jeune Copponex en a un bel exemple par la pérennité de la jauge Godinet, dont il peut voir les superbes et rapides unités rivaliser dans le Petit-Lac, coques basses et effilées, voilures immenses surmontées d’un flèche, immenses focs ballons envoyés au portant. L’adolescent ne manque pas de croiser sur l’eau et dans les hangars des chantiers le créateur de la formule, l’ingénieur et architecte lyonnais Auguste Godinet, familier du Léman. Le bonhomme un peu émacié est précédé d’une réputation de savoir et de modestie légendaire, cheveux blancs et moustache fournie, dissimulant un regard aigu derrière de petites lunettes rondes. Se sont-ils parlé en dépit de leur grande différence d’âge? Rien ne permet de l’affirmer, mais rien non plus ne peut l’écarter entre deux hommes qui ont navigué dans les mêmes eaux et fréquenté les mêmes cercles restreints pendant plus de quinze ans. La jauge d’Auguste Godinet, adoptée en 1892, préservée et adaptée - après son abandon par la France - par la Société Nautique de Genève (SNG), a donné naissance en 1901 à une formule purement genevoise, dite «Godinet modifiée». Il en est résulté de très beaux bateaux issus de travaux d’architectes internationaux: le Suisse d’origine belge Jules de Catus, les Français Godinet et Guédon, l’Américain Herreshoff ou l’Italien Costaguta. Ces belles unités ont fait rêver le jeune Henri et il lui arrive désormais, malingre, observateur et discret, d’être embarqué à leur bord sous l’autorité d’un propriétaire de droit divin.
Remarqué par ses pairs, Henri Copponex, dit «Kiki», surnom qu’il gardera toute sa vie, délaisse son 10 m2, embarqué sur les séries de son temps. À quinze ans, le voilà équipier à bord du 8,50 mètres Série Internationale Simbad, puis à la barre du 6,50 m Série Internationale Thisbé, dont la classe est particulièrement fournie. Apparus en 1911 sur le Léman, les 6,50 m SI, dits série des chemins de fer en raison de leur longueur limitée pour permettre le transport ferroviaire, constituent en effet la plus nombreuse flotte du lac dans les années vingt. Bateaux vivants, logeables, marins, ils s’accommodent des bourrasques brutales qui tombent des montagnes. Henri Copponex remporte ses premières victoires dans cette classe très active à bord du Cigogne, appartenant à la famille Motzig. On peut imaginer sans peine le jeune régatier de dix-huit ans dévorant avec passion «L’aérodynamique de la voile», ouvrage de Manfred Curry, qui dès sa parution en 1925 bouleverse radicalement l’approche de la course. C’est également à cette époque qu’apparaissent les premiers 6 mètres Jauge Internationale du lac, qui vont dominer les courses pendant plus d’un quart de siècle.
Ces passionnantes années de formation comptent autant pour Henri Copponex que ses études d’ingénieur qui le mènent à Zurich. Là, il se forme au dessin avec une rigueur toute particulière, aux calculs, à la mécanique, toutes matières transposables au domaine qui lui est cher: la régate. De brillant amateur, le jeune homme, qui effectue son travail de diplôme sur un projet de pont, devient technicien éclairé, recherché à la barre des unités les plus compétitives. Moins instinctif que raisonneur, il se range parmi les pratiquants du Scientific Racing vingt ans avant que l’expression, lancée par l’Américain Ted Wells, ne fasse le tour du monde. Un début de carrière professionnelle en France où, jeune marié, il construit des ponts de 1928 à 1932, l’éloigne du Léman, mais il y revient dès que les vacances le lui permettent. On le trouve au cours de l’été 1930 barreur à bord du 6 m JI Cigogne II appartenant toujours à la famille Motzig.
Le séjour en France est bref. En 1934, Henri et sa femme reviennent à Genève, année cruciale pour la construction de sa carrière. À l’orée des années trente, les deux sociétés nautiques de Genève, la SNG et la Société Genevoise d’Encouragement, ont déploré la disparition des petites classes de voiliers économiques. Deux options se conjuguent. En premier lieu, la Nautique, inspirée par le règlement des 12 m2 du Havre, lance en 1933 une jauge de bateaux un peu plus grands, les 15 m2 Série Nationale Suisse. L’année suivante, la Société d’Encouragement demande à Henri Copponex un projet de petit quillard monotype. Dans les deux cas, le jeune homme de vingt-sept ans va se révéler indispensable.
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